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Les Années 60 à Biarritz: Entretien Avec René Bégué

Posted on May 11 2024, By: Ronnie Reyes

Le livre de René Bégué, Biarritz Sixties, Surf Origins, reflète l'esprit de la culture surf durant cette période. Surfeur accompli, il a passé la majeure partie de son temps dans l'eau. Aussi, plutôt que de se focaliser sur la photographie de surf pure, il a saisi de nombreux instants particuliers entre deux sessions de surf. Ces moments sont du vécu et attirent immédiatement l'attention du lecteur qui peut imaginer la vie au milieu des années 1960 dans ce petit coin de France. On peut regretter d’être né à la mauvaise époque et de ne pas avoir été là pour vivre cette période magique.

"À la fin des années 60, beaucoup de choses ont commencé à changer."


Le moment où j'ai acheté ce livre en 2019, il a immédiatement inspiré et validé une idée avec laquelle je jouais dans ma tête depuis quelques années. Cette période a toujours été spéciale pour moi. Pas seulement par nostalgie, mais pour des raisons qui vont au-delà de la nostalgie des temps passés. Voir ces images pour la première fois m'a replongé dans cette période et m'a rappelé de suivre ma passion. J'ai eu l'honneur d'interviewer M. Bégué dans sa maison qui surplombe la Côte des Basques. Nous nous sommes assis dehors par une belle matinée, nous avons discuté et nous avons regardé les bonnes vagues déferler juste devant la maison.

"Cette année-là, près d'un million de personnes ont été rapatriées d'Algérie vers la France"

Parle-moi un peu de toi. Où as-tu grandi ? A quoi ressemblait ton enfance ?

Je suis né en Algérie, le 1er janvier 1949. Ce n'est pas évident d'avoir un anniversaire ce jour-là. Vous ne pouvez pas trouver de restaurant ouvert pour inviter vos amis à fêter votre anniversaire, ha ha ! Mais là n'est pas la question. Mon père est né à Bayonne mais il est parti vivre en Algérie en 1929, cependant chaque été pendant les vacances nous revenions en France. On habitait la Villa Hélianthe, juste au-dessus de la Côte des Basques, et on passait nos journées à la plage. A la fin de l'été, on retournait en Algérie. C'est pour cette raison que, lorsque le surf est arrivé pour la première fois sur la Côte des Basques, j'étais là pour le voir. Je n'avais que 8 ans, mais je m'en souviens très bien.

Puis l'indépendance de l'Algérie en 1962 nous a obligés à venir définitivement vivre ici. Cette année-là, près d'un million de personnes ont été rapatriées d'Algérie vers la France.

Les copains d'abord. Photo copyrights owned by René Bégué

Wow ! J'imagine que cela a dû être un grand changement pour vous. Qu'est-ce qui vous a rapproché du surf ?

À notre retour en France en juillet 1962, mon père nous a acheté une planche de surf, pour mon frère et moi. C'est sur cette planche que nous avons appris à surfer. C'était un des premiers essais de planches de surf en polyester que Michel Barland avait faites et mon père l'avait eue pour 150 francs. Elle n'était pas terrible ! Et comme ce n'était pas une très bonne planche, nous l'avons accrochée au mur en décoration au bar Luna Park de Biarritz. Puis elle a fini sa vie au Club S’Carlina, une boîte de nuit de Courchevel 1850 à l’époque où le surf était aussi une danse.

À marée haute, c'est le repli général sur la murette. Photo copyrights owned by René Bégué

Dans votre livre, vous mentionnez brièvement que vous avez acheté votre premier véritable appareil photo à un surfeur Australien de passage. Preniez-vous déjà des photos auparavant ? Qui vous a inspiré à poursuivre la photographie ?

Oui, c'est vrai. Je voulais lui acheter sa planche. J'avais passé toute la journée à essayer de trouver l’argent nécessaire pour avoir sa planche de surf et quand je suis enfin venu le voir pour l’acheter, il m'a dit qu'elle était déjà vendue, mais qu’en revanche il vendait aussi son appareil photo ! J'avais l'argent, alors j'ai dit "ok, je prends l'appareil photo". Avant cela, je ne m'intéressais pas vraiment à la photographie. J'avais une espèce de petit Instamatic merdique et je prenais quelques photos, mais c'est tout. Il y a cependant quelques photos intéressantes dans le livre prises avec ce petit appareil minable.

Allongé sur le toit de sa Cadillac, Alain Bégué discute avec les jeunes filles qui se baladent.

Vos photos donnent une image très romantique de Biarritz dans les années 1960. Pouvez-vous me parler un peu de ce qui, selon vous, était vraiment spécial dans ce lieu et à cette époque ?

Si je devais le résumer en un seul mot, je dirais « Liberté ». La devise de la France est « Liberté, Égalité, Fraternité », mais aujourd'hui en France, nous ne parlons plus de Liberté mais de Libertés, ce qui est plus restrictif, et nous avons en fait de moins en moins de libertés. À cette époque, le surf c'était vraiment la liberté.

En route de la plage de la Chambre d'Amour vers La Barre sur et à bord de la Cadillac. Photo copyrights owned by René Bégué

La photographie à l'époque était un véritable défi, vous ne disposiez que d'un court instant pour capturer une image incluant la mise au point, le choix de la vitesse et le diaphragme correspondant. Aujourd'hui, on peut prendre des milliers de photos pour n'en obtenir qu'une seule sans se soucier de rien. Si l'on n'utilisait encore que des pellicules, j'imagine que cela coûterait beaucoup plus cher. Pouvez-vous me dire quel équipement vous utilisez principalement à cette époque et quelle était votre approche pour capturer de si belles images ?

Oui, je n'avais qu'un seul appareil photo 35mm équipé d'un objectif normal de 50 mm et d'un télé de 300 mm pour prendre des photos de surf. Mais je ne peux pas dire que j’étais un pur photographe de surf, car lorsque les conditions étaient idéales pour faire des photos, je surfais ! J’ai donc surtout pris des photos de mes amis dans leur environnement. C'est pourquoi le livre montre la vie à cette époque. Les pellicules et les tirages du commerce étaient cher, mais heureusement, un ami m'a montré comment développer et tirer moi-même les photos. J'achetais de gros rouleaux de pellicule 35mm noir et blanc et j’en faisais des bobines à la main dans le noir de mon placard pour les utiliser dans mon appareil photo. Il est vrai qu'aujourd'hui, lorsque vous prenez une photo avec votre caméra ou votre téléphone, vous ne vous souciez pas trop de ce qui vous entoure, car vous pouvez tout corriger après. Mais à cette époque, il fallait essayer de vraiment regarder la photo que l'on prenait. Au bout d'un certain temps, si vous aviez l'œil et le cerveau pour cela, vous arriviez mieux à imaginer la photo finie à travers l’objectif.

L'organiste Jimmy Smith, venu spécialement des USA afin de tester l'orgue Hammond B3 de Guy Lorin. Photo copyrights owned by René Bégué

Il y avait déjà des surfeurs dans la région, les "Tontons", mais vous et votre génération avez été les jeunes qui ont vraiment adopté tout ce qui se passait de nouveau dans le domaine du surf. Y a-t-il eu une résistance à ce changement de la part de l'établissement ?

Je ne pense pas que les choses se soient passées ainsi. À cette époque, nous avions les « Tontons surfeurs », les anciens, qui avaient déjà commencé à surfer à la fin des années 50. Ils gagnaient leur vie et avaient des familles à nourrir. Barland travaillait dans la mécanique, Rott fabriquait des talons en bois pour les chaussures, Reinhardt travaillait dans le contreplaqué et Hennebutte fabriquait des bateaux gonflables. Ils ont donc tous commencé à se fabriquer des planches selon leurs compétences, en bois, en contreplaqué, en caoutchouc... Au début des années 60, il y avait peut-être 10 planches sur la plage. À cette époque, Hennebutte n’avait pas encore inventé le « leash », alors quand ces pionniers prenaient une vague et tombaient, la planche revenait immanquablement sur le rivage avec la vague. Comme vous pouvez le voir ici, les rochers ne sont pas les meilleurs amis des planches ! Notre mission de gamin, était donc d'empêcher la planche de heurter ces rochers. Sauf que, quand on pèse 30 kilos et qu'on doit arrêter une planche de 20 kilos, c'est un peu compliqué ! Mais, pendant que le surfeur regagnait le rivage à la nage, nous avions la possibilité d'essayer de prendre une mousse ou deux. Tous les enfants de la Côte des Basques ont commencé à surfer comme ça. De ce fait, les « Tontons surfeurs » étaient très gentils avec nous. À marée haute, quand on ne pouvait plus surfer à la Côte, ils chargeaient dans leurs voitures, les enfants et les planches et nous emmenaient découvrir de nouveaux endroits. La Barre, Guéthary, Lafitenia, St Jean-de-Luz, Hendaye, etc. Une vraie famille ! C'est bien de découvrir un sport au début parce qu'il n'y a pas vraiment de champions, rien que des passionnés.

Dans les années 60, de nombreux surfeurs parcouraient déjà le monde à la recherche de vagues, mais Biarritz n'etait pas très connue pour le surf. Pouvez-vous nous parler de l’ambiance lorsque des surfeurs itinérants ont commencé à arriver ici ?

Au début des années 60, Jan W Lee en provenance d'Hawaï, et Peter Troy, d'Australie, ont débarqué à la Côte. Ils étaient tous deux de très bons surfeurs. Avant cela, le surf consistait surtout à prendre une vague et à aller tout droit. Vous étiez heureux si votre planche touchait le sable sans être tombé ! Ils nous ont appris que l’on pouvait virer, marcher sur la planche, faire des figures. Ils nous ont prêté leur Wax, nous utilisions des bougies, c'est pas tout à fait pareil ! À leur arrivée, nous avons organisé la première compétition internationale à La Barre en 1963. Nous l'avons pompeusement appelée Internationale parce qu'il y avait un Hawaïen, un Australien et quelques Français. Peter Troy est arrivé premier, Jan Lee deuxième et Jean-Marie Lartigau troisième. À la suite de cela, Peter Troy a voyagé dans le monde entier en tant que Champion International de France de surf !

Puis, en 1964, un groupe de surfeurs Californiens est arrivé à la Côte avec des planches fabuleuses, des maillots de surf, des Tee-shirts de surf mais aussi des skateboards et de la surf musique ! À cette époque, je n'avais que 15 ans et j'apprenais l'anglais au lycée. J'ai donc dû améliorer mon anglais pour essayer d'acheter leurs planches, leurs skateboards, leurs tee-shirts et leurs maillots, bref tout ce qu'ils avaient ! C’était la surf culture qui débarquait à Biarritz.

Wayne Lynch et sa planche magique, préfigurant la montée en puissance des shortboards. Photo copyrights owned by René Bégué

Il est évident que les années 60 étaient très différentes de celles d'aujourd'hui. Avec la démocratisation et la popularité du surf, tout a changé. Et dans le monde entier. Qu’est-ce qui a le plus changé ici, d’après vous ?

Dans le cadre de la question ci-dessus, dans quelle mesure pensez-vous que le surf a changé ? À l'exception de la foule, le surf est-il différent aujourd'hui ?

Les gens me demandent "où se situe la meilleure vague que vous ayez jamais prise dans votre vie, est-ce en Australie, à Hawaï ? Je leur réponds que non, c'est ici ! Quand vous vivez 60 ans en face d'un spot réputé, vous avez nécessairement eu des jours parfaits, et vous avez la chance d’être là, sur place. D’une manière générale, les vagues ne changent pas, certains spots ont pu changé ou disparaître comme La Barre mais cela reste assez rare. Ce qui a vraiment changé, se sont les surfeurs ! Je pense qu’il reste très peu d’endroits dans le monde où l’on puisse retrouver une ambiance aussi conviviale et festive que celle des années 60 à la Côte des Basques.

Garé devant le spot, le photographe nous offre une superbe vision de Parlamentia. Photo Copyrights owned by René Bégué

Qu’est-ce qui te fait te sentir bien en ce moment ?

Je ne surfe malheureusement plus pour des problèmes de santé et je trouve qu’il y a aussi beaucoup trop de monde à l’eau. Je n’ai plus la possibilité de me lever suffisamment rapidement pour trouver le bon placement dans une vague et si on y arrive malgré tout, on se heurte alors à une foule de dangereux inconscients qui croient être des surfeurs et qui ne respectent rien. Je continue cependant à regarder et à apprécier le surf. Je trouve génial les planches à foil et leur glisse incroyable. J’ai toujours aimé la glisse en général et le plaisir qu’elle peut procurer. Pour moi, la glisse est un truc qui rend heureux !


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